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- LABELLE, FRAN?COIS-XAVIER-ANTOINE (baptis?e Antoine), pr?etre catholique, promoteur de la colonisation, auteur et fonctionnaire, n?e le 24 novembre 1833 ?a Sainte-Rose (Laval, Qu?ebec), fils d?Antoine Labelle, cordonnier, et d?Ang?elique Maher ; d?ec?ed?e le 4 janvier 1891 ?a Qu?ebec et inhum?e quatre jours plus tard ?a Saint-J?er?ome, Qu?ebec.
? l?instar de ses parents, dont le mariage avait ?et?e jusqu?alors st?erile, Antoine Labelle attribuait sa naissance ?a l?intercession de saint Fran?cois-Xavier. C?est pourquoi, ?a une date ind?etermin?ee, il ajouta ces pr?enoms ?a celui d?Antoine. Les 35 premi?eres ann?ees de son existence sont relativement obscures. Au sortir d?une enfance dont on ignore presque tout, le jeune homme, probablement prot?eg?e par son cur?e, entre en 1844 au petit s?eminaire de Sainte-Th?er?ese pour y poursuivre ses ?etudes classiques jusqu?en 1852. Ses int?er?ets, dit-on, vont surtout ?a l?histoire et ?a la philosophie. Il lit le comte de Maistre, Balmes, le vicomte de Bonald, mais se passionne tout particuli?erement pour l??uvre de l?apologiste fran?cais Auguste Nicolas au point de la poss?eder presque par c?ur. Si les motifs de cet engouement de jeunesse sont mal ?eclaircis, on sait du moins que cet auteur cherchait notamment ?a montrer l?accord des tout derniers progr?es scientifiques avec les assertions du dogme. Labelle, pour sa part, sera toujours un homme tourn?e vers l?avenir, fascin?e par le progr?es et par les possibilit?es nouvelles offertes par les d?eveloppements de la science et de la technique, qu?il ne trouvera nullement incompatibles avec la permanence d?une tradition religieuse et culturelle.
La formation proprement cl?ericale de Labelle est br?eve. Tout en assumant diverses fonctions au petit s?eminaire de Sainte-Th?er?ese, il ?etudie la th?eologie de 1852 ?a 1855. Apr?es une derni?ere ann?ee pass?ee au grand s?eminaire de Montr?eal, il est ordonn?e pr?etre dans son village natal le 1er juin 1856, avant m?eme d?avoir atteint l??age canonique requis. Il fait trois ann?ees et demie de vicariat ?a Sault-au-R?ecollet (Montr?eal-Nord) et ?a Saint-Jacques-le-Mineur, puis Mgr Ignace Bourget* le nomme successivement cur?e ?a Saint-Antoine-Abb?e, de 1859 ?a 1863, et ?a Saint-Bernard-de-Lacolle, de 1863 ?a 1868. Dans ces deux municipalit?es de paroisse limitrophes des ?Etats-Unis, relativement pauvres et marginales et encore en voie d?organisation, le jeune cur?e doit affronter ?a la fois de vives dissensions chez ses coreligionnaires et une forte pr?esence protestante. S?il affirme d?ej?a ses qualit?es de meneur d?hommes en surmontant ces obstacles, il n?en est pas moins ?a maintes reprises guett?e par le d?ecouragement : tant?ot il avoue secr?etement ?a son ?ev?eque ?etre tent?e de regretter sa pr?etrise, tant?ot il souhaiterait pouvoir se cacher dans un monast?ere. Assailli de difficult?es financi?eres, il doit contracter des dettes. ?Ecras?e sous leur poids, celui qui sera plus tard ?a juste titre consid?er?e comme l?un des plus ardents champions de la lutte contre l??emigration de ses compatriotes aux ?Etats-Unis, est amen?e, la mort dans l??ame, le 12 novembre 1867, ?a demander ?a son ?ev?eque de le laisser partir pour un dioc?ese am?ericain o?u un salaire plus ?elev?e lui permettrait de solder ses dettes et de payer une pension ?a sa m?ere. Plut?ot que d?acc?eder ?a cette demande, Bourget le nomme, le 15 mai suivant, cur?e de la paroisse prosp?ere de Saint-J?er?ome, poste qu?il occupera jusqu??a sa mort.
? la t?ete de la paroisse la plus populeuse du comt?e de Terrebonne, et donc la plus importante sur le plan ?electoral, Labelle, tr?es t?ot, milite activement pour le parti conservateur, alors au pouvoir aux deux niveaux de gouvernement, et pour le d?eput?e provincial de ce parti, Joseph-Adolphe Chapleau. Habiles et discr?etes, ses interventions n?en sont probablement que plus efficaces. Du reste, son concours s?av?ere d?autant plus pr?ecieux au parti que, de l?int?erieur m?eme du clerg?e, il combat les ultramontains qui, ?a partir de la parution du Programme catholique en 1871 [V. Fran?cois-Xavier-Anselme Trudel*], entrent publiquement en dissidence et menacent l?h?eg?emonie du ? grand parti national ?. En retour de ses services, Labelle se trouve particuli?erement bien plac?e pour demander et obtenir des faveurs du gouvernement, comme des subsides n?ecessaires ?a la confection de chemins dans les parties recul?ees de la r?egion. Ses relations politiques l?habilitent ?egalement ?a jouer le r?ole de n?egociateur officieux entre l??Eglise et l??Etat dans la pr?eparation de plusieurs projets de loi qui int?eressent les deux parties. Ce n?est cependant pas ?a ce titre, ni m?eme par l?exercice de ses fonctions sp?ecifiquement sacerdotales et curiales, que Labelle passera ?a l?histoire mais, faut-il le rappeler, comme ap?otre de la colonisation et roi du Nord.
D?ej?a en 1872, on consid?ere Labelle comme le continuateur de l??uvre d?Augustin-Norbert Morin*, le fondateur de Sainte-Ad?ele. Il ne va pourtant pas de soi, ?a cette ?epoque, de pousser la colonisation encore plus loin au nord-ouest de Saint-J?er?ome. M?eme si un certain peuplement sporadique des rives des principaux affluents de la rivi?ere des Outaouais s?est d?ej?a produit, notamment dans le sillage de l?industrie foresti?ere, la r?egion reste largement r?eput?ee impropre ?a la colonisation, ?a telle enseigne que les projets de Labelle en la mati?ere ne rencontreront souvent que scepticisme et indiff?erence. Mais le cur?e croit fermement que ? la nation catholique fran?caise ? est ? le c?ur du catholicisme dans l?Am?erique Septentrionale ? et qu?elle est appel?ee ? ?a jouer le r?ole du peuple juif au milieu des nations infid?eles ?. Dans cette optique, la colonisation constitue pour lui un moyen de reconqu?ete, indissociablement catholique et francophone, par une strat?egie formellement l?egale et pacifique d?expansion et d?occupation territoriales. La terre des Laurentides est la terre promise de son peuple. Convaincu, comme l?historien et sociologue fran?cais Fran?cois-Edm?e Rameau de Saint-P?ere, qu?il a rencontr?e une premi?ere fois en 1860 et qu?il a toujours reconnu comme son inspirateur, que la vall?ee de l?Outaouais ? occupe une position strat?egique pour le salut de [la] race [fran?caise] ?, il s?agit tout d?abord pour lui, comme il le confessera un jour ?a son ?ev?eque, d?? enlever aux protestants les comt?es d?Argenteuil et d?Ottawa et [de] les assurer pour toujours en la possession des catholiques et tout cela sans le dire ouvertement ?. Mais ?a longue ?ech?eance, gr?e ?a une colonisation qui progresserait vers l?Ouest, c?est tout le territoire compris entre Montr?eal et Winnipeg, et jusqu??a la baie d?Hudson, dont il r?eve de faire la conqu?ete. Il esp?ere ainsi concourir, comme il l??ecrira ?a un correspondant fran?cais, ?a l?accomplissement de la ? revenche de Montcalm [Louis-Joseph de Montcalm*] ?, ?a ? la plus grande victoire que jamais nation ait accomplie : conqu?erir [ses] conqu?erants ! ?
Cette reconqu?ete n?en serait cependant pas une, aux yeux de Labelle, si elle n??etait simultan?ement une reconqu?ete ?economique. La prosp?erit?e de ce royaume du Nord, il l?attend ?a la fois de l?exploitation de ses ressources agricoles et mini?eres, des manufactures qui s??etabliront dans ses villes ?a venir, du commerce et du tourisme qui s?y d?evelopperont, et du r?eseau de chemins de fer qui le sillonnera. Son projet colonisateur n?est gu?ere l?expression d?un quelconque credo agriculturiste. S?il pr?econise la mise en valeur agricole de la vall?ee de l?Outaouais, c?est sur la foi de rapports d?experts de l??epoque qui y signalent des ?etendues consid?erables de bonnes terres. Mais il est ?egalement convaincu que ? les richesses min?erales sont abondantes dans les Laurentides, que l?or, l?argent et le cuivre s?y trouvent comme en Californie, au N?evada et sur le Colorado ?, et il en presse l?exploitation. Il encourage sa propre paroisse ?a entrer dans la voie de l?urbanisation et de l?industrialisation, et il joue un r?ole certain, par exemple, dans l??etablissement ?a Saint-J?er?ome, en 1881, de l?importante fabrique de papier de Jean-Baptiste Rolland*. Mais, en s?inspirant consciemment du mod?ele am?ericain, c?est principalement sur la construction de chemins de fer qu?il compte pour le d?eveloppement des nouveaux territoires. Aussi, lorsque quelques mois ?a peine apr?es son arriv?ee ?a Saint-J?er?ome se forme la Compagnie du chemin ?a lisses de colonisation du nord de Montr?eal, il s?int?eresse imm?ediatement ?a la r?ealisation du projet. En 1873, sir Hugh Allan*, le pr?esident de la compagnie, et son avocat, John Joseph Caldwell Abbott, rendent hommage ?a ses efforts ; le 9 octobre 1876, lorsque le tron?con Montr?eal-Saint-J?er?ome de la section ouest du Qu?ebec, Montr?eal, Ottawa et Occidental est officiellement inaugur?e, l?une des deux premi?eres locomotives en service sur la ligne est significativement baptis?ee ? R?ev. A. Labelle ?. Par la suite, Labelle ne cessera de r?eclamer le prolongement et la ramification de cette voie.
Labelle ne se contente cependant pas de discourir. Il explore lui-m?eme la for?et ?a pied ou en canot. En 1887, il portera ?a 45 le total de ces voyages dont certains durent de trois ?a quatre semaines. Il d?etermine ainsi, de proche en proche, de futurs centres de peuplement, contribuant, au cours des ans, ?a ?etablir quelque 29 cantons qui forment une vingtaine de nouvelles paroisses. Apr?es avoir press?e le gouvernement de proc?eder ?a l?arpentage du territoire et ?a la confection de chemins, il dirige vers ces lieux des colons, dont on peut estimer le nombre ?a quelque 5 000.
En marge de ces activit?es, vers 1879, Labelle gagne ?a sa cause Arthur Buies* qui, par ses multiples ?ecrits, devient son propagandiste attitr?e et son premier collaborateur. Devant la croissance du mouvement colonisateur, li?ee ?a la grave r?ecession de 1874?1879, le cur?e cherche ?a s?assurer des moyens de financement. Il fonde ainsi, en 1879, la Soci?et?e de colonisation du dioc?ese de Montr?eal, et cr?ee, en 1884, la Loterie nationale de colonisation, entreprises dont les r?esultats seront loin de r?epondre ?a ses attentes. De f?evrier ?a ao?ut 1885, en mission officielle pour le gouvernement canadien, il parcourt l?Europe dans le but d?attirer immigrants francophones et capitaux au Canada. Dans un autre domaine, ayant pr?econis?e depuis au moins 1879 l??erection de l??ev?ech?e d?Ottawa en archev?ech?e, afin d?? avoir toujours une hi?erarchie fran?caise dans cette province ?, Labelle, pour en consolider le caract?ere francophone et ?eviter qu?un ?ev?eque irlandais n?occupe ce poste strat?egique, milite ?a partir de 1887 pour la cr?eation d?un nouveau dioc?ese ?a Saint-J?er?ome, dont l??ev?eque serait suffragant de celui d?Ottawa.
Le 16 mai 1888, le premier ministre de la province de Qu?ebec, Honor?e Mercier, sans doute en partie pour r?eparer le faux pas politique qu?il avait fait en mettant publiquement en doute l?honn?etet?e de l?ap?otre de la colonisation, l?appelle ?a occuper le poste de sous-commissaire au d?epartement de l?Agriculture et de la Colonisation que vient de cr?eer son gouvernement. Dans ses nouvelles fonctions, Labelle s?emploie tout d?abord, de concert avec le nouveau commissaire des Terres de la couronne, Georges Duhamel, ?a r?eformer la l?egislation qui r?egit les concessions foresti?eres : la nouvelle loi qui en r?esulte, sanctionn?ee le 12 juillet 1888, a notamment pour effet de supprimer les r?eserves foresti?eres et d?abolir la r?eserve perp?etuelle du bois de pin. Labelle s?illustre ?egalement en obtenant le fameux ? bill des 100 acres ? en vertu duquel toute famille qui compte 12 enfants vivants peut se faire octroyer gratuitement une terre de 100 acres du domaine public.
Les derni?eres ann?ees de Labelle sont cependant dramatiques. Les conservateurs voient en lui un transfuge et le combattent avec acharnement. Pr?etres comme la?iques, ils font pression sur son archev?eque, ?Edouard-Charles Fabre, pour qu?il obtienne sa d?emission et le rappelle dans sa cure. Celui-ci proc?ede ?a ce rappel mais seulement lorsque, contre sa volont?e expresse, Mercier obtient directement de Rome pour son sous-ministre, le 3 juillet 1889, le titre de protonotaire apostolique ad instar. En d?epit d?une requ?ete unanime du conseil des ministres, il ne pourra conserver ses fonctions : il faudra encore que, sur les instances de Mercier, L?eon XIII intervienne par deux fois aupr?es de Fabre, en novembre 1889 puis en mai 1890. Entre-temps, Labelle, ?a la demande du gouvernement provincial, effectue un second voyage en Europe, du 9 janvier au 15 septembre 1890, toujours dans le but officiel d?activer l?immigration fran?caise, mais aussi pour d?efendre ?a Rome et sa r?eputation et son projet de dioc?ese contre l?archev?eque qu?il accuse de g?ener ? le mouvement ascensionnel du catholicisme ?. Mais Fabre a finalement raison de lui : le 23 d?ecembre 1890, un mot arrive de Rome qui signifie l??echec de son projet. Et cet ?echec, en lequel culminent de nombreux autres revers, le broie, car son r?eve s?effondre par sa base religieuse m?eme. Il estime avoir ?et?e ? la victime que l?on a couverte de fleurs pour mieux l?immoler ?. Son esp?erance bloqu?ee, c?est ?a une mort morale qu?il se sent d?esormais condamn?e.
Labelle d?emissionne de son poste de sous-ministre le 26 d?ecembre 1890. Si l?on en croit le correspondant du Montreal Star qui l?a interview?e ce jour-l?a, il d?esirait d?es lors quitter sa cure, se retirer dans son pays de colonisation pour y vivre paisiblement jusqu??a la mort de sa m?ere, puis vendre ses biens, partir pour l?Europe et aller mourir ?a Rome. Ainsi, devant un royaume impossible ?a b?atir, le dernier r?eve du cur?e patriote aurait-il ?et?e de quitter ?a jamais son pays. Apr?es avoir vu Mercier refuser sa d?emission le 27 d?ecembre, il meurt ?a Qu?ebec dans la nuit du 3 au 4 janvier 1891 ?a la suite d?une br?eve maladie.
Fran?cois-Xavier-Antoine Labelle compte certainement parmi les figures les plus populaires et les plus l?egendaires de la seconde moiti?e du xixe si?ecle qu?eb?ecois. Il a fascin?e et ?etonn?e ?a plus d?un titre son ?epoque : par sa stature physique colossale ; par la libert?e de langage qu?il tenait de ses origines populaires ; par la fougue de son temp?erament ; par le feu de ses harangues priv?ees et publiques ; par sa fr?equentation des grands et sa proximit?e des humbles ; par sa cons?ecration absolue ?a la cause de la colonisation, comme par sa g?en?erosit?e proverbiale et peut-?etre surtout par la d?emesure m?eme de ses r?eves et de ses visions d?avenir qui le faisaient passer tant?ot pour un fou et tant?ot pour un sage qui sauve son pays. Plus profond?ement, il a incarn?e une dimension culturelle fondamentale de la soci?et?e o?u il a v?ecu : n?e au c?ur d?une des r?egions soulev?ees par les patriotes en 1837?1838, ayant grandi dans le climat de renouveau religieux des ann?ees 1840 o?u le catholicisme s?affirmait de plus en plus comme religion nationale, le cur?e Labelle a assum?e de tout son ?etre le nationalisme religieux messianisant qui, aux lendemains de l??echec de l?insurrection et du rapport de lord Durham [John George Lambton*], devait progressivement se substituer comme instrument de r?esistance et de lutte au nationalisme politique virulent et d?esormais impossible des d?ecennies pr?ec?edentes. De cette religion, des r?eves et des attentes de lib?eration et de salut collectifs qu?elle sous-tendait, il fut ?a la fois le h?eros et la victime : il en a v?ecu et il en est mort.
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